30.7.10

Noyer l'angoisse

- Tu me remets ça, s’il te plaît?


Ma voix est brisée par l’alcool, par les cigarettes, la mauvaise bouffe, la mauvaise humeur. Accoudée au comptoir, j’ai l’impression que mon coude va se faire la malle et me laisser ici toute seule. Je lui fais des excuses toutes discrètes, mais il s’en fiche bien. Et Réjean, le bartender, me regarde d’un oeil louche, franchement désintéressé. Il voudrait que je cesse de boire, que je prenne ma sacoche, que je me tire. Mais je n’ai pas envie de lui faire cette joie. Malthide, quelque part, est tout nue et presse son corps impeccable contre l’homme dont je n’arrive même pas à écrire, prononcer, murmurer, le nom. Un instant, je ferme les yeux…


- Voilà. Hé! On ne dort pas, mademoiselle!


J’ouvre les yeux; et c’est mon visage qui me frappe en plus face. Des cernes noircis, un teint trop pâle; je fais la grimace, mais c’est pire encore.


De l’autre côté du bar, je vois deux jeunes poulettes, attriquées comme des salopes. Elles gloussent et leurs petits seins pointus s’émoustillent dans leur tops trop serrés. Alors, je roule les yeux, parce que leur platitude me permet de m’oublier un peu. Évidemment, elles sont meilleures que moi; elles s’attirent l’une contre l’autre, un peu bourrées, et se font la bise, rigolent de bon coeur. Sans aucun doute, elles se poignarderaient dans le dos pour un garçon à leur goût, pour une jupe dernier cri, pour un bâton de rouge inédit. Je lâche un rire cru, vilain; mais seul Réjean me regarde de travers et il pousse un long soupir en m’apportant l’addition.


J’ouvre la bouche pour protester mais sa mou énervée me fait comprendre qu’il vaut mieux que je me taise. Il n’y a pas à dire: j’ai l’ennui à pleine gueule et je le sème à tout ceux qui me crache un regard amer.


Et je songe à Antoine, à notre dernière soirée tous les deux, avant que je sache…

1 commentaire:

  1. Ma tête: mon monde...

    Sur le pont d'Avignon. Le coup frappa l'enfant à la machoire. Il resta debout. Sourirant. Le tirailleur: rien. Le fusil: aucun. Et il y avait cette aube et ce soir pleins d'expectations les plus brillantes.

    S'il vous plait...

    Poétudes

    - Peter Ingestad, Sverige

    RépondreSupprimer