1.8.10

Gin & Tonic

J’avais un verre à la main, et je le sirotais en regardant les bulles formées par la glace. J’attendais que ma tête se remette à parler; pour le moment, elle était silencieuse, et ça me plaisait bien. Je regardais la glace, et le temps s’étirait sans fin. C’était une banalité, presque un cliché, mais j’en souriais de contentement.

- C’est quoi ton prénom, ma belle?

Une voix, comme ça, sortie de nulle part, mais je sentais l’haleine chaude rouler contre la peau de ma nuque. Je fermai les yeux, d’abord, en espérant en chasser le propriétaire. Mais à cette heure, dans les bars, on ne chasse plus personne par l’indifférence; il faut fuir, il faut courir, courir loin et à grandes enjambées, parce que le message, trop flou, n’est jamais compris.

Alors, je ne répondais pas; dans ma tête, trop de désirs partagés. Celui de me ruer dans les toilettes et de pleurer longuement. Celui de me jeter à bras ouverts dans les bras de cet ivrogne et de me faire baiser sauvagement. Dans les deux cas: me haïr davantage.

- Hé! je vois que tu as fini ton drink; je t’en paie une autre, ma belle.

Je hausse les épaules, mais au fond, ça me fait sourire. Oui, offre-moi donc un verre, que je me saoule, que je m’oublie, que j’oublie leurs visages, que je ne songe pas trop à Malthide, à ses belles courbes, à son visage délicat, à ses yeux en amande, à ses lèvres pressées contre les lèvres d’Antoine.

- Qu’est-ce que tu bois?
- Gin tonique.
- Et un gin tonique pour la jolie damoiselle!

Sa voix est comme un cymbale dans mes tympans; j’ai envie de presser mes paumes contre mes oreilles. Mais plus que tout, de disparaître, une bonne fois pour toi.

Alors, ça me prend, de nouveau; courir dans les rues, me ruer devant des automobiles, me jeter d’un pont, me torturer par des pensées où mes veines sont tailladées, ou ma nuque rompue. Ce n’est pas que je songe réellement au suicide; pas de cela. Me torturer est bien mieux; c’est une torture qui me réussit à merveille. Parce que, avec ma mort, j’aurais l’impression de punir les autres, d’une manière indirecte.

Mais la seule personne à punir, c’est moi.

- Alors, tu as un nom?
- Malthide.

Je ferme les yeux. C’est sorti tout seul; des syllabes roulant sur ma langue épaisse. C’était si facile.

Et pourtant, lui, ce ne sera pas Antoine.

- Malthide, hein? Moi, c’est Stéphane.

Je souris tristement. Stéphane, tu feras bien l’affaire pour ce soir!

30.7.10

L'autre Claudia

Entendre mon autre me parler au travers des verres vides. Cette voix. Surtout cette petite voix, pernicieuse, qui chuchote, dans tous les interstices de mon cerveau. Parce qu’il ne faut pas se leurrer… mais on se leurrera tout de même. Ici, il ne fallait pas revenir; ceux-là, il ne fallait pas les regarder à nouveau, les revoir, les re-entendre, les appréhender au coin de la rue.


Mais j’étais revenue, parce que la petite voix se faisait toute délicieuse dans ma tête lourde et fatiguée. Parce que j’avais pas envie d’oublier complètement, parce que je voulais être un conte délirant, que je m’amusais avec chacune de mes pensées, de mes escapades lyriques.


Sans apercevoir tous les dangers…


Ma tête, un enfer, une prison; je construisais les murs qu’on s’enferme dans un labyrinthe. Pas de sortie; ou plutôt si, plutôt des centaines; mais s’enfoncer davantage dans les dédales illogiques que j’en étais venue à préférer à la réalité.


La “réalité”. Un autre mot flou, qui ne veut pas dire grand chose.


Et pourtant, c’était la vérité; j’avais créé mon malheur, mon enfer; tout ici était ma création. Mes délires, mes rêveries, mon incommensurable rage de courir après la fable paranoïaque. Au bout du conte, c’est moi qui avait écrit mon histoire, et l’héroïne pouvait bien mourir, que ça me plaisait presque davantage.


De toute manière, c’est ainsi que j’aimais les histoires. Ces contes trop joyeux, trop heureux, à la fin desquels les héros s’embrassaient longuement, et qu’on souriait trop. Je roulais les yeux, dans mon exaspération. Bah! franchement! Des contes pour les enfants, pour les innocents. Bien sûr que non, les contes ne se terminent jamais de cette façon. C’est plutôt l’incertitude, ou la souffrance… Et je pensais alors, quand on songe à l’amour, il n’y a qu’une seule chance, n’est-ce pas? Une seule chance que ça clique. Toute histoire est relue, revue, au travers de son échec. N’est-ce pas?


Je voudrais croire autrement, c’est vrai. Mais cette pensée-là, on me la vole; et ce “on”, c’est bien trop souvent moi-même.

Noyer l'angoisse

- Tu me remets ça, s’il te plaît?


Ma voix est brisée par l’alcool, par les cigarettes, la mauvaise bouffe, la mauvaise humeur. Accoudée au comptoir, j’ai l’impression que mon coude va se faire la malle et me laisser ici toute seule. Je lui fais des excuses toutes discrètes, mais il s’en fiche bien. Et Réjean, le bartender, me regarde d’un oeil louche, franchement désintéressé. Il voudrait que je cesse de boire, que je prenne ma sacoche, que je me tire. Mais je n’ai pas envie de lui faire cette joie. Malthide, quelque part, est tout nue et presse son corps impeccable contre l’homme dont je n’arrive même pas à écrire, prononcer, murmurer, le nom. Un instant, je ferme les yeux…


- Voilà. Hé! On ne dort pas, mademoiselle!


J’ouvre les yeux; et c’est mon visage qui me frappe en plus face. Des cernes noircis, un teint trop pâle; je fais la grimace, mais c’est pire encore.


De l’autre côté du bar, je vois deux jeunes poulettes, attriquées comme des salopes. Elles gloussent et leurs petits seins pointus s’émoustillent dans leur tops trop serrés. Alors, je roule les yeux, parce que leur platitude me permet de m’oublier un peu. Évidemment, elles sont meilleures que moi; elles s’attirent l’une contre l’autre, un peu bourrées, et se font la bise, rigolent de bon coeur. Sans aucun doute, elles se poignarderaient dans le dos pour un garçon à leur goût, pour une jupe dernier cri, pour un bâton de rouge inédit. Je lâche un rire cru, vilain; mais seul Réjean me regarde de travers et il pousse un long soupir en m’apportant l’addition.


J’ouvre la bouche pour protester mais sa mou énervée me fait comprendre qu’il vaut mieux que je me taise. Il n’y a pas à dire: j’ai l’ennui à pleine gueule et je le sème à tout ceux qui me crache un regard amer.


Et je songe à Antoine, à notre dernière soirée tous les deux, avant que je sache…

27.5.09

Vouloir mourir...

Il me fallait cesser de respirer. Entendre sa voix, voir son beau visage, ses yeux si doux se poser sur moi, sa gentillesse qui empestait dans tout le café... J'avais envie de vomir, de lui cracher mes entrailles.

Plutôt, je lui souriais. Dans la fièvre de nos regards, une autre conversation... mais de celle-là on ne dirait rien, ni ne rendrait compte.

J'étais partie pour oublier son nom et le mien, pour oublier ma folie; et voilà qu'elle me revenait en plus visage; je comprenais qu'il ne servait à rien de la fuir; il fallait la regarder autrement. Mais autrement, qu'est-ce que cela voulait dire? Ma folie, ma démence... Oui, c'est que j'étais devenue délire sans verbe; je m'étais laissée porter par une vague, et je la regardais m'entraîner, alors que je courrais avec elle, derrière elle, entre elle. Dans la fièvre de l'instant, je pouvais tout voir, distinguer les courbes de ma folie pure, de ce qui ne tournait pas rond chez moi. Et pourtant, j'en dressais la plus jolie des logiques, la plus belle des traces; je me croyais tellement supérieure, et versatilement verbose!... j'avais l'impression d'avoir déceler tous les secrets de la magnificience 'conversation'! Comment savoir, que rien ne change et que tout change? Ah oui, j'aimerais à croire que dans mes gestes que je répète, dans mes habitudes que je moule sans réfléchir, la course que je suis et que j'entame perpétuellement, en réprimant celle d'avant, en poursuivant la fois d'une effroyablement rationnelle démence, les choses seront autrement!...

Mais voilà que Mathilde me regardait avec un sourire, qu'elle embrassait mes joues et partageait sa chaleur! Sur les lèvres, il y avait eu les siennes, quelques heures plus tôt, tout au plus. Je pouvais encore humer l'odeur de son haleine matinale et les cigarettes qu'il avait fumées. J'attendais son rire dans sa gorge lorsqu'elle me serrait les épaules.

- Claudia! Claudia! Mais où étais-tu donc passée? Qu'est-ce que tu nous as manqué?

Et pourquoi dire ces choses-là? Voilà qu'elle semblait si sincère, et son visage si beau, si lumineux! Je la contemplais, et mes yeux se remplissaient de larmes ridicules. J'étais ridicule, encore une fois. Effroyablement ridicule. Le ridicule allait-il cesser de me pourchasser? de courrir derrière, de se fendre la gueule en me regardant tomber, culbuter, me fracasser la tête contre des verres vides, des comptoirs humides, des épaules distantes?

Mathile, et ses yeux pleins de sincérité.

Après cinq minutes, elle était déjà partie; son parfum faisait des spirales au-dessus de mes narines et j'attendais patiemment que les larmes sèchent entre mes paupières. J'étais immobile et silence, parce que le moindre geste m'aurait fait fondre en pleurs, comme une idiote à nouveau. Voilà que j'étais dans un café où tout le monde me voyait, me reconnaissait, comprenait mes traits et mes silences et mes rires et mes regards. Je n'étais plus une étrangère, ni une exilée...

Et j'aurais tout donné pour retourner dans le cocon chaud et douillé de mon anonymat.

2.3.09

Mes pupilles dévoraient les couleurs...

Voilà que j'étais dans le café, à songer à ma mort, à sourire en me voyant plonger au creux d'une certaine noirceur, paisible et réconfortante. Et, dans le brouhaha du café, des assiettes qui s'entrechoquaient et les ustensiles qui valsaient entre les bouches baveuses, je sentais que mon rythme cardiaque reprenait sa course normale, que je pouvais respirer avec une certaine quiétude... qu'il n'y avait en fait aucune crainte à avoir, aucun risque qui frémissait sous mon nez. Que la délicatesse d'un après-midi à flâner, et errer longuement dans la temporalité des mots.

Et puis, du silence qui se faisait dans ma tête, de la lourdeur qui s'effritait contre la légèreté de mon écriture, une voix vint frapper contre mon tympan et j'eus le souffle coupé, l'espace d'un moment; ma mort, ce n'était plus cette chute doucereuse, plutôt quelque chose d'inquiétant, de troublant; le doute, encore. Peut-être n'aurais-je pas dû revenir ici? Croiser des spectres que je voulais inconnus... 

Peut-être, mais c'était trop tard, forcément. 

J'avais reconnu la voix de Mathilde. La grande, svelte, magnificiente Mathilde; ses longs cils qui perlaient dans la lumière, sa bouche sulfureuse, ses bras qui s'élançaient dans de gracieux mouvements sensuels. Elle parle et sa voix était un miel; elle riait, et son rire me faisait l'effet d'un baume et d'un poison à la fois. 

J'eus d'abord envie de pencher ma tête sur le papier, et de me laisser faussement et entièrement absorbée par l'écriture, par le papier que j'encrais à petites larmes. Bien sûr, elle pouvait passer à côté de moi, et sentir mon parfum, et ne reconnaître en moi rien d'autre qu'une petite Montréalaise pseudo-hippie, pseudo-bon genre. Mais l'idée de l'ignorer me fit froid dans le dos...

Il y avait des étoiles dans mes yeux, à ce moment; le silence le plus complet dans ma tête et mes veines qui vibraient. La lumière se diffusait dans mes pupilles et le temps lui-même rigolait à gorge déployée. Je laissais mes yeux avaler le chaos de l'après-midi et un étrange sourire se glissa sur mes lèvres; un sourire qui s'adressa à Mathilde alors qu'elle passait tout près de ma table.

Elle me vit alors, et demeura estomaquée durant quelques secondes, puis prit un air ébloui et s'empara de mon visage qu'elle embrassa longuement. 

C'était Mathilde, la copine de l'homme dont j'étais follement amoureuse. 

24.2.09

Vue du Pont

J'imagine la fin de ma vie: moi, sur un pont, à contempler la rivière, et les courbes de sa transparence; et puis, la lune peut-être, son reflet; il y aurait des passants; parfois, je croiserais leurs regards mais, en général, seulement des contacts éphémères avec les silhouettes ombragées; et puis, voilà: je ne le vois pas, nécessairement, telle une nostalgie qui passerait, ni même comme une tristesse infinie imprimée dans mes veines, mais plutôt, ce sentiment-là que ma vie se termine - et non pas qu'elle doive se terminer. Alors, il y aurait la chute; et, elle serait jolie, gracieuse - une envolée, un dernier rêve, duquel je ne réveillerais pas.

16.2.09

Mon Genou Blessé

Puis, j'y suis arrivée; dans un dédale de marche et de boue, la succion de mes bottes dans les flaques qui rigolent derrière mon dos, les mèches de cheveux qui se pressent contre mon front et, de ces larmes qui ne m'appartiennent pas, je sens le mascara qui coule lentement; une plaie ouverte sur mon genou alors que je bute contre un caillou, que je trébuche, que je m'étale sur le trottoir bondé, inondé. Je voudrais m'esclaffer!... Et, je le ferais sans doute, mais mon retour provoque toutes sortes d'angoisses que je n'arrive pas à nommer. Entre mes lèvres, des mots dans un langage dont je me sens étrangère, des mots dont on connaît les racines, et les consonnances, les courbes et les délires; le français.

Je suis partie depuis si longtemps — depuis si peu, en fait, mais les mois se sont métamorphosés en années, en siècles, pour me permettre de dormir un peu, de rêver surtout, d'être l'élixir de tous mes maux, de guérir ce qui semblait sans nom et sans visage — je suis partie en oubliant même comment prononcer ce prénom, le triste mien, comme l'écrire, le dire, le chuchoter au pavillon des oreilles doucereuses; de l'autre côté du miroir, voilà qu'on le décortiquait avec chaque syllabe, et c'était comme s'il m'était inconnu. Il me faisait sourire alors, comme lorsque j'avais six ans et que les bras de mon père s'ouvraient telle la gueule d'une baleine, et que j'allais me rouler dans la chaleur d'une langue rugueuse et du souffle rauque d'une plainte matinale.

Je me suis exilée là où je pouvais rager avec des mots durs, et sans raffinement, dans toute leur cruauté et leur bestialité, là où on n'entendait rien, comme si j'étais un murmure, une musique, du bruit et de la fureur, des chants gutturaux; Euterpe penchée sur ma tête tourbillonante, et des miels qu'elle répandait dans le supplice de mon acharnement; ce prénom ne voulait rien dire et les visages étaient des curieux sans bouche et sans yeux, de leurs traits flasques, gras, des peintures inachevées. La peur s'éclipsait alors; elle n'avait plus de prise, plus de territoire à occuper; que des vallons insondables, des prairies inondées, des rivières sauvages.

Alors, voilà que dans les corridors de ma ville maquette, ma ville française, non seulement on me vole mon langage secret, mes mélopées tragiques et sourdes, mais c'est de cette crainte nouvelle qui vient teinter mes joues rosées, mes lèvres bleutées, mon teint affable; des yeux que j'écarquille sans le vouloir, des paupières qui se plissent sous les battements assourdissants de mes veines carbonisées.

À tous les coins de rue, je risque de rencontrer ceux qui connaissent mon prénom, et ma démarche, et mes souvenirs, et les expressions que mon visage lui-même a occultées.

Je reprends ma marche, mais non sans m'emparer d'abord du caillou, que je presse dans ma paume humide; la tête baissée, les doigts qui frémissent, des écouteurs fourrés dans mes oreilles, comme si la musique pouvait encore m'épargner la fortuite descente qui m'attend... Et l'odeur du café s'impose avec plus de puissance, sa chaleur réconfortante, la fièvre d'écrire et de laisser ma main épancher mon sang sur un papier vierge.

Devenir l'écriture, son gribouillage et sa danse languissante; devenir mots et syllabes décousues. Écrire — un peu — se réincarner dans l'écriture comme Ariel devenant l'écume, et prendre corps avec l'océan, être dentelle contre son immensité.